L’or…! L’or...!
Ô or! Ô or! Tu es l’objet des désirs de tout humain
en ce bas-monde! Ô sale! Ô abject! Ô immonde! Ô source
des péchés! Ô origine des souffrances! Ô cause des malheurs! Ô dragon vorace! Ô
bête dévorante! Ô puissant! Ô vil! Ô vaniteux singulièrement arrogant! Ô tyran
absolu! Ô impuissant infâme! Ô ignoble sordide! Ô abominable odieux! Dérobe-toi
à mes yeux et point ne m’approche, car désormais, je ne te prête plus aucune
attention! Dérobe donc ton hideux visage à mes regards, cache-le derrière la
brume de ta souillure qui remplit les airs par son odeur fétide et empesté, souillure
putride, nauséabonde, repoussante et dégoûtante!
Qui es-tu donc? D’ailleurs, tu es absolument incapable
de me séduire, ô toi, que toutes les nations glorifie le nom, tous les grands
rois se soumettent au pouvoir! Hélas! Ô puissance étrange! Ô toi qui règnes sur
cette Terre et sur ses hommes! Ô mystère des mystères et énigme de l’univers! Plutôt,
ô toi, qui rabaissas les philosophes, méprisas les sages et ridiculisas les
savants! Ô désir des grands et des modestes, des rois et des sujets! Ô vœu de
tout vivant que la vie engendra sur ce misérable globe! Le grand philosophe te
désira, ô or, le sage versé te sollicita, le vieillard décrépit et épuisé te
souhaita, le gracieux jeune-homme t’invoqua, le petit enfant t’implora, l’ermite
ascèse te supplia du fond de son ermitage et l’humble moine se soumit devant
tes pieds, la prostituée t’appela sur le lit souillé de sa débauche, la reine t’invita
de son château qui touche aux nuages et le religieux vénérable, du cime du
temple et la jeune-fille te sollicitas à travers son voile blanc de chasteté et
de pureté! Oui! Même les prophètes t’invitèrent! Les prophètes t’appelèrent de
l’autre versant de la colline de l’invocation, ô or! Aussi les dignitaires et
les modestes, les bons et les mauvais, les innocents et les méchants, les
chastes et les débauchés, tous ceux-là te recherchèrent, te désirèrent, te prièrent,
t’invitèrent, t’implorèrent, t’invoquèrent et se soumirent devant tes pieds,
faisant certes tes dociles esclaves, tes fidèles serviteurs, tes serviles laquais!
Tu exauças alors le désir des uns, mais tu déçus les autres; alors, les uns
t’aimèrent, et ils te demandèrent davantage et les autres se lamentèrent,
regrettant ta réticence!
Hélas! Hélas! Qui es-tu donc, ô or? Es-tu un
prophète? Non! Tu n’es point un prophète! Tu es plutôt plus grand qu’un
prophète! Car des dizaines et des centaines de prophètes vinrent sur la Terre, et
ils partirent ô or sans résultat: ils perdirent et échouèrent, se lamentant sur
leur temps perdu et leurs efforts anéantis. Ô or, ils vinrent puis ils partirent
sans nullement pouvoir unifier les peuples sous le même étendard, sous le même
pavillon! Quant à toi, ô Fluide[i]
étrange, tu les unifias et tu les rassemblas comme la poule rassemble ses
poussins, sans quitter ton majestueux trône, sans prononcer un mot, sans le
moindre geste, même sans te préoccuper s’ils aiment ta face ou ta pile! Tu les
rassemblas ô or sous ton étendard matériel; tu unifias vite leurs groupes, leurs
souhaits et leurs visées, et en un instant, ils se soumirent humblement à ta
volonté, se vautrèrent dans tes fanges, se roulèrent dans tes poussières, embrassant
tes souliers! En un moment, ils furent ingrats, reniant la bienveillance du
Miséricordieux, s’accrochant à la malveillance de Satan! En un instant, ils devinrent
tes esclaves serviles alors que tu es l’héroïque seigneur, installé sur ton majestueux
trône, grognant du grognement des ogresses, ricanant du ricanement sardonique des
diables! Oui, oui, or! Tu n’es pas un prophète, mais plutôt un dieu! Tu es certes
le dieu incontestable de ce globe, de cette Terre!
Ô héraut des calamités! Ô source des malheurs! Ô origine
des péchés! Tu remportas la victoire, et ta victoire fut indéniable, ta
victoire fut finale! Tu triomphas et tu gagnas le long du front jusqu’au Jour
de la Résurrection! Hélas! Tu triomphas, ô or! Puisse Dieu finir ta vie! Car,
après ta victoire, tu te cachas derrière un voile,
et tu observais le drame humain avec quiétude et assurance, avec joie et
sérénité! Hélas! Que l’humanité est triste et misérable! Car, c’est par toi qu’elle
perdit ô or le but juste, et elle errait dans le désert inerte alors que tu étais
resté dans ta position, chantant les hymnes de la victoire et du triomphe, ricanant
de rires semblables au hurlement des loups, aux sanglots des filles de la nuit!
Oui! Combien de drames furent hélas joués sur ton
théâtre, ô or! La souffrance affligeante, la mort navrante des fils, l’espoir
défait, la tristesse mortelle, le regret dévastateur, la désolation enflammé,
le doute morne, la déception déchirante, le pessimisme poignant, le défaitisme inquiétant,
tous ces malheurs n’étaient point sans toi, ô or! Ainsi combien de mères pleurèrent
leurs uniques, combien de frères tuèrent leurs frères, combien d’amis détestèrent
leurs amis! Plutôt combien d’ennemis se rapprochèrent de leurs ennemis, combien
d’amantes oublièrent leurs amants, combien d’amoureux abandonnèrent leurs
amoureuses, combien de pères délaissèrent leurs enfants et d’enfants abandonnèrent
leurs pères! Aussi combien de filles séduisantes, captivées par ton jaune
éclat, se vendirent à cause de toi comme les chamelles dans le bazar! Oui! Combien
de baisers furent imprimés sur une bouche répugnante, empestée et d’une odeur
puante, par une belle femme pauvre en vue de te posséder! Plutôt, combien de
dents jaunies immondes, qui dégoûtent les sangliers des déserts et les scarabées,
furent baisées par une belle fille, retenant son haleine pour ne pas vomir, afin
d’avoir une petite quantité de toi! Oui! Combien de larmes furent versées dans
la nuit obscure et de sangs, répandus en plein jour! Combien de soupirs, de pleurs,
de gémissements, de regrets, de larmes, d’afflictions: les plaintes des
orphelins, les soupirs des veuves, les regrets des pauvres et les peines des
misérables, les larmes des désespérés et les douleurs des victimes! Combien et
combien ...!
Combien de sentiments et de penchants, de passions
et de désirs, d’espoirs et d’inclinations, de visées et de tendances étaient morts
de regret et de misère entre tes mains, laissés sur le sol, lambeaux déchirés,
sans vie! Tu te mis cependant à te moquer sans pitié ni compassion de la perte de
leurs âmes et de leurs lambeaux éparpillés! Hélas! Puisses-tu être satisfait de
ce que les penchants demeurent isolés et les désirs, séparés! Tant s’en faut! Tu
t’ingénias, oh le malheur! à mélanger les éléments, faisant du simple un
composé et du seul un ensemble! Tu te mis ainsi à semer la guerre entre ces penchants
et ces désirs, et le fort attaqua le faible, le riche conspira contre le
pauvre, le tuteur combina contre l’orphelin, le savant se moqua de l’ignorant, l’intelligent
méprisa l’imbécile et le sage dédaigna le fou! Et tout cela engendra, ô or, rires
et pleurs, espérances et désespoirs, bonheurs et malheurs! Tout cela engendra celui
qui couche sur un lit confortable, sur une tendre pelouse et celui qui serait rejeté
dans les rues, au corps nu, brûlé par les fouets des tonnerres dévastateurs, au
visage maigre, frappé par les poignards du vent déchaîné! Et, à cause de tout
cela, ô or, existèrent les dignitaires et les nobles, les riches et leur progéniture,
les misérables, les âmes affligées et les cœurs brisés, l’arrogant vaniteux et l’heureux
insouciant, l’orgueilleux gonflé de superbe et l’humble découragé, l’apeuré caché
et le paisible pauvre, et bien d’autres que nous connaissons ou non!
Or! Oui, sans toi, il n’y avait ni tromperie ni ignominie
ni hypocrisie ni fourberie! Sans toi, il n’y avait ni bataille ni combat ni
lutte ni affrontement. Sans toi, il n’y avait ni misère ni malheur ni mensonge ni
perfidie. Sans toi, il n’y avait ni iniquités ni péchés ni désastres ni
malheurs. Sans toi, il n’y avait ni conflit ni animosité ni haine ni rancune. Oui,
sans toi, notre commencement n’était pas une fin et notre fin, un commencement!
Oui, oui, sans toi il n’y avait guère ce qu’il y avait. Soit donc maudit, ô signe
de la malédiction, ô symbole de la malchance! Assez! Assez! Jette tes ancres et
arrête ton périple! N’est-il pas temps que la tragédie prenne fin et que les
humains se sauvent de tes malheurs?
Hélas! À cause de toi, ô or, des châteaux majestueux
furent détruites et des forteresses, dévastées! Aussi des couronnes furent roulées
à tes pieds, des barbes, éparpillées, des âmes, exterminées, des têtes, capitées
sur ton autel, des turbans, dégringolés et des bonnets, éparpillés dans les
souterrains de ton temple! Oui, oui, des âmes furent suppliciées et des cœurs, torturés
dans les portiques de ton enfer! Oui, des genoux chancelèrent et des membres furent
arrachés par tes vents impétueux. Oui, oui, et toi, tu étais toujours le même, incapable
de te désaltérer, de te rassasier! Oui, or! Tu ne changeas pas: en effet, par
toi, le vrai devint faux et le faux, vrai; le vice fut préféré et la vertu,
rejetée, la chasteté devint débauche et la débauche, chasteté! Oui, à cause de
toi, l’illusion s’enfla, devenant une vérité et la vérité, s’amenuisa, passant
pour une illusion! Oui, la stupidité grossit, devenant une intelligence et
l’intelligence, maigrit, passant pour une stupidité! Oui, oui, or, par toi, hélas!
le mesquin eut la suprématie et le généreux fut humilié! Par toi, le brave fut rétrogradé
et le lâche, promu! Oui, oui, par toi, le gagnant perdit et le perdant gagna, l’injuste
triompha et le juste perdit! Hélas! Hélas! Par toi, le savant devint ignorant et
l’ignorant, savant, le serviteur, seigneur et le seigneur, serviteur! Par toi,
un individu gagna une renommée et des milliers furent éclipsés! Oui, oui, or, par
toi, des têtes furent abaissées et des pieds, haussés! Par toi or les amis se
séparèrent et les ennemis se rapprochèrent! Par toi, les évidences furent dissimulées
et les incertitudes, exhibées! Hélas! Hélas! Par toi, l’impossible devint
possible et le possible, impossible!
Dommage! Que tu es brute, cruel, funeste, affligeant!
Éloigne-toi donc de moi, car je ne puis guère voir ton visage flétri, hideux, qui
montre tes dents aussi dures que les dents des titans de l’antiquité, et qui sèment
l’épouvante extrême dans les cœurs d’un Hercules, d’un Samson et d’un Antar, le
cavalier des cavaliers, s’ils reviennent à la vie de l’autre monde!
Malheur à toi! ô or! Qui m’aidera-t-il à te briser
et à t’écraser fortement, te détruisant de mes pieds et te réduisant en viles poussières
foulées des souliers, poussières qui seront dispersées par les vents! Qui
m’aidera-t-il? Y-a-t-il quelqu’un parmi les hommes qui puisse m’aider? Mais, les
humains sont hélas misérables, ô or! Parmi eux se trouvent en effet le
solitaire isolé et le bizarre attristé, le vagabond affamé, le flâneur insensé,
l’affligé endeuillé et inconsolé! Parmi eux se trouvent également le cupide
avide, le désireux ambitieux, l’avare sordide, le peureux poltron, l’opiniâtre
obstiné, le charmant séduisant, l’amoureux passionné, le vieillard rajeuni et l’intelligent
abruti! Parmi eux, ô or, se trouvent bien d’autres! Y a-t-il donc quelqu’un
capable de rassembler toutes ces tendances contradictoires, ces prédispositions
contraires, ces inclinations opposées et de m’aider à réaliser mon désir de te
briser fortement, de t’écraser entièrement et de t’anéantir complètement?! Il y
a certes un qui le pourra: c’est toi, et personne d’autre que toi, ô or!
Disparais donc de cette
Terre, anéantis-toi, et la sérénité remplace l’agitation et le bonheur, le
malheur! Compris-tu alors?! Pourquoi donc ne te suicides-tu pas, sauvant les
hommes des désastres de ton mal et des ruses de ton hypocrisie? Non! Non! Tu te refuses à te suicider, étant
si attaché à ta vie! D’ailleurs, ton instinct refuse fort d’agir contre ta nature, prédestinée à mépriser
les hommes et à se moquer d’eux! Oui, tu fus créé pour te moquer des pauvres, danser
sur les lambeaux des misérables puis décimer les désespérés! L’heure de ta
disparition de ce bas-monde ne viendra pas toutefois avant que les désirs et
les penchants des hommes ne s’unissent, te délaissant et te piétinant. C’est à
ce moment-là, et juste à ce moment, ô or, que tu te suicideras malgré toi, et les
hommes seront sauvés de ta duperie et de ta fourberie, et la tragédie prendra
fin! Oui! Mais quand cette tragédie
prendra-t-elle fin? Il s’agit de rêves, voire de pures illusions!
Ô or! Ô or! À cause de toi, de nombreux yeux clos furent
enterrés, et ils resteront ainsi à jamais! Hélas! Combien ta main effrayante
fermera, sans compassion ni pitié, des yeux alanguis, d’un beau noir! Hélas! Ô toi
qui gouvernes les hommes depuis l’existence de l’univers jusqu’à alors et
jusqu’à la fin des temps! Dérobe ta face de moi, car je ne crois pas en toi! Plus
encore, je continuerai à te mépriser et te dédaigner jusqu’à la fin de mes
jours, jusqu’à ma mort!
Jérusalem, le 5 janvier
1935
[i] «Fluide» veut dire, dans l’enseignement dahéshiste, une force vitale,
morale, émanée du Monde de l’Esprit, donc spirituelle. Cette force anime la vie
dans la multitude des univers matériels aux billions de mondes, aux vies
différentes régies par des lois appropriées et relatives. Ainsi l’or est une fluide spirituelle ou
plutôt un être conscient et sujet, comme les individus et tous les êtres dans
les univers, aux lois morales spirituelles ou divines. L’âme humaine, végétale ou animale est constituée d’un
ensemble de Fluides, unifiés sous la personnalité qui en est la résultante. (à développer au fur et à mesure)
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