mercredi 22 mars 2023

 

                                                                  L’or…! L’or...!

Ô or! Ô or! Tu es l’objet des désirs de tout humain en ce bas-monde! Ô sale! Ô abject! Ô immonde! Ô source des péchés! Ô origine des souffrances! Ô cause des malheurs! Ô dragon vorace! Ô bête dévorante! Ô puissant! Ô vil! Ô vaniteux singulièrement arrogant! Ô tyran absolu! Ô impuissant infâme! Ô ignoble sordide! Ô abominable odieux! Dérobe-toi à mes yeux et point ne m’approche, car désormais, je ne te prête plus aucune attention! Dérobe donc ton hideux visage à mes regards, cache-le derrière la brume de ta souillure qui remplit les airs par son odeur fétide et empesté, souillure putride, nauséabonde, repoussante et dégoûtante!

Qui es-tu donc? D’ailleurs, tu es absolument incapable de me séduire, ô toi, que toutes les nations glorifie le nom, tous les grands rois se soumettent au pouvoir! Hélas! Ô puissance étrange! Ô toi qui règnes sur cette Terre et sur ses hommes! Ô mystère des mystères et énigme de l’univers! Plutôt, ô toi, qui rabaissas les philosophes, méprisas les sages et ridiculisas les savants! Ô désir des grands et des modestes, des rois et des sujets! Ô vœu de tout vivant que la vie engendra sur ce misérable globe! Le grand philosophe te désira, ô or, le sage versé te sollicita, le vieillard décrépit et épuisé te souhaita, le gracieux jeune-homme t’invoqua, le petit enfant t’implora, l’ermite ascèse te supplia du fond de son ermitage et l’humble moine se soumit devant tes pieds, la prostituée t’appela sur le lit souillé de sa débauche, la reine t’invita de son château qui touche aux nuages et le religieux vénérable, du cime du temple et la jeune-fille te sollicitas à travers son voile blanc de chasteté et de pureté! Oui! Même les prophètes t’invitèrent! Les prophètes t’appelèrent de l’autre versant de la colline de l’invocation, ô or! Aussi les dignitaires et les modestes, les bons et les mauvais, les innocents et les méchants, les chastes et les débauchés, tous ceux-là te recherchèrent, te désirèrent, te prièrent, t’invitèrent, t’implorèrent, t’invoquèrent et se soumirent devant tes pieds, faisant certes tes dociles esclaves, tes fidèles serviteurs, tes serviles laquais! Tu exauças alors le désir des uns, mais tu déçus les autres; alors, les uns t’aimèrent, et ils te demandèrent davantage et les autres se lamentèrent, regrettant ta réticence!

Hélas! Hélas! Qui es-tu donc, ô or? Es-tu un prophète? Non! Tu n’es point un prophète! Tu es plutôt plus grand qu’un prophète! Car des dizaines et des centaines de prophètes vinrent sur la Terre, et ils partirent ô or sans résultat: ils perdirent et échouèrent, se lamentant sur leur temps perdu et leurs efforts anéantis. Ô or, ils vinrent puis ils partirent sans nullement pouvoir unifier les peuples sous le même étendard, sous le même pavillon! Quant à toi, ô Fluide[i] étrange, tu les unifias et tu les rassemblas comme la poule rassemble ses poussins, sans quitter ton majestueux trône, sans prononcer un mot, sans le moindre geste, même sans te préoccuper s’ils aiment ta face ou ta pile! Tu les rassemblas ô or sous ton étendard matériel; tu unifias vite leurs groupes, leurs souhaits et leurs visées, et en un instant, ils se soumirent humblement à ta volonté, se vautrèrent dans tes fanges, se roulèrent dans tes poussières, embrassant tes souliers! En un moment, ils furent ingrats, reniant la bienveillance du Miséricordieux, s’accrochant à la malveillance de Satan! En un instant, ils devinrent tes esclaves serviles alors que tu es l’héroïque seigneur, installé sur ton majestueux trône, grognant du grognement des ogresses, ricanant du ricanement sardonique des diables! Oui, oui, or! Tu n’es pas un prophète, mais plutôt un dieu! Tu es certes le dieu incontestable de ce globe, de cette Terre!

Ô héraut des calamités! Ô source des malheurs! Ô origine des péchés! Tu remportas la victoire, et ta victoire fut indéniable, ta victoire fut finale! Tu triomphas et tu gagnas le long du front jusqu’au Jour de la Résurrection! Hélas! Tu triomphas, ô or! Puisse Dieu finir ta vie! Car, après ta victoire, tu te cachas derrière un voile, et tu observais le drame humain avec quiétude et assurance, avec joie et sérénité! Hélas! Que l’humanité est triste et misérable! Car, c’est par toi qu’elle perdit ô or le but juste, et elle errait dans le désert inerte alors que tu étais resté dans ta position, chantant les hymnes de la victoire et du triomphe, ricanant de rires semblables au hurlement des loups, aux sanglots des filles de la nuit!

Oui! Combien de drames furent hélas joués sur ton théâtre, ô or! La souffrance affligeante, la mort navrante des fils, l’espoir défait, la tristesse mortelle, le regret dévastateur, la désolation enflammé, le doute morne, la déception déchirante, le pessimisme poignant, le défaitisme inquiétant, tous ces malheurs n’étaient point sans toi, ô or! Ainsi combien de mères pleurèrent leurs uniques, combien de frères tuèrent leurs frères, combien d’amis détestèrent leurs amis! Plutôt combien d’ennemis se rapprochèrent de leurs ennemis, combien d’amantes oublièrent leurs amants, combien d’amoureux abandonnèrent leurs amoureuses, combien de pères délaissèrent leurs enfants et d’enfants abandonnèrent leurs pères! Aussi combien de filles séduisantes, captivées par ton jaune éclat, se vendirent à cause de toi comme les chamelles dans le bazar! Oui! Combien de baisers furent imprimés sur une bouche répugnante, empestée et d’une odeur puante, par une belle femme pauvre en vue de te posséder! Plutôt, combien de dents jaunies immondes, qui dégoûtent les sangliers des déserts et les scarabées, furent baisées par une belle fille, retenant son haleine pour ne pas vomir, afin d’avoir une petite quantité de toi! Oui! Combien de larmes furent versées dans la nuit obscure et de sangs, répandus en plein jour! Combien de soupirs, de pleurs, de gémissements, de regrets, de larmes, d’afflictions: les plaintes des orphelins, les soupirs des veuves, les regrets des pauvres et les peines des misérables, les larmes des désespérés et les douleurs des victimes! Combien et combien ...!

Combien de sentiments et de penchants, de passions et de désirs, d’espoirs et d’inclinations, de visées et de tendances étaient morts de regret et de misère entre tes mains, laissés sur le sol, lambeaux déchirés, sans vie! Tu te mis cependant à te moquer sans pitié ni compassion de la perte de leurs âmes et de leurs lambeaux éparpillés! Hélas! Puisses-tu être satisfait de ce que les penchants demeurent isolés et les désirs, séparés! Tant s’en faut! Tu t’ingénias, oh le malheur! à mélanger les éléments, faisant du simple un composé et du seul un ensemble! Tu te mis ainsi à semer la guerre entre ces penchants et ces désirs, et le fort attaqua le faible, le riche conspira contre le pauvre, le tuteur combina contre l’orphelin, le savant se moqua de l’ignorant, l’intelligent méprisa l’imbécile et le sage dédaigna le fou! Et tout cela engendra, ô or, rires et pleurs, espérances et désespoirs, bonheurs et malheurs! Tout cela engendra celui qui couche sur un lit confortable, sur une tendre pelouse et celui qui serait rejeté dans les rues, au corps nu, brûlé par les fouets des tonnerres dévastateurs, au visage maigre, frappé par les poignards du vent déchaîné! Et, à cause de tout cela, ô or, existèrent les dignitaires et les nobles, les riches et leur progéniture, les misérables, les âmes affligées et les cœurs brisés, l’arrogant vaniteux et l’heureux insouciant, l’orgueilleux gonflé de superbe et l’humble découragé, l’apeuré caché et le paisible pauvre, et bien d’autres que nous connaissons ou non!

Or! Oui, sans toi, il n’y avait ni tromperie ni ignominie ni hypocrisie ni fourberie! Sans toi, il n’y avait ni bataille ni combat ni lutte ni affrontement. Sans toi, il n’y avait ni misère ni malheur ni mensonge ni perfidie. Sans toi, il n’y avait ni iniquités ni péchés ni désastres ni malheurs. Sans toi, il n’y avait ni conflit ni animosité ni haine ni rancune. Oui, sans toi, notre commencement n’était pas une fin et notre fin, un commencement! Oui, oui, sans toi il n’y avait guère ce qu’il y avait. Soit donc maudit, ô signe de la malédiction, ô symbole de la malchance! Assez! Assez! Jette tes ancres et arrête ton périple! N’est-il pas temps que la tragédie prenne fin et que les humains se sauvent de tes malheurs?

Hélas! À cause de toi, ô or, des châteaux majestueux furent détruites et des forteresses, dévastées! Aussi des couronnes furent roulées à tes pieds, des barbes, éparpillées, des âmes, exterminées, des têtes, capitées sur ton autel, des turbans, dégringolés et des bonnets, éparpillés dans les souterrains de ton temple! Oui, oui, des âmes furent suppliciées et des cœurs, torturés dans les portiques de ton enfer! Oui, des genoux chancelèrent et des membres furent arrachés par tes vents impétueux. Oui, oui, et toi, tu étais toujours le même, incapable de te désaltérer, de te rassasier! Oui, or! Tu ne changeas pas: en effet, par toi, le vrai devint faux et le faux, vrai; le vice fut préféré et la vertu, rejetée, la chasteté devint débauche et la débauche, chasteté! Oui, à cause de toi, l’illusion s’enfla, devenant une vérité et la vérité, s’amenuisa, passant pour une illusion! Oui, la stupidité grossit, devenant une intelligence et l’intelligence, maigrit, passant pour une stupidité! Oui, oui, or, par toi, hélas! le mesquin eut la suprématie et le généreux fut humilié! Par toi, le brave fut rétrogradé et le lâche, promu! Oui, oui, par toi, le gagnant perdit et le perdant gagna, l’injuste triompha et le juste perdit! Hélas! Hélas! Par toi, le savant devint ignorant et l’ignorant, savant, le serviteur, seigneur et le seigneur, serviteur! Par toi, un individu gagna une renommée et des milliers furent éclipsés! Oui, oui, or, par toi, des têtes furent abaissées et des pieds, haussés! Par toi or les amis se séparèrent et les ennemis se rapprochèrent! Par toi, les évidences furent dissimulées et les incertitudes, exhibées! Hélas! Hélas! Par toi, l’impossible devint possible et le possible, impossible!

Dommage! Que tu es brute, cruel, funeste, affligeant! Éloigne-toi donc de moi, car je ne puis guère voir ton visage flétri, hideux, qui montre tes dents aussi dures que les dents des titans de l’antiquité, et qui sèment l’épouvante extrême dans les cœurs d’un Hercules, d’un Samson et d’un Antar, le cavalier des cavaliers, s’ils reviennent à la vie de l’autre monde!

Malheur à toi! ô or! Qui m’aidera-t-il à te briser et à t’écraser fortement, te détruisant de mes pieds et te réduisant en viles poussières foulées des souliers, poussières qui seront dispersées par les vents! Qui m’aidera-t-il? Y-a-t-il quelqu’un parmi les hommes qui puisse m’aider? Mais, les humains sont hélas misérables, ô or! Parmi eux se trouvent en effet le solitaire isolé et le bizarre attristé, le vagabond affamé, le flâneur insensé, l’affligé endeuillé et inconsolé! Parmi eux se trouvent également le cupide avide, le désireux ambitieux, l’avare sordide, le peureux poltron, l’opiniâtre obstiné, le charmant séduisant, l’amoureux passionné, le vieillard rajeuni et l’intelligent abruti! Parmi eux, ô or, se trouvent bien d’autres! Y a-t-il donc quelqu’un capable de rassembler toutes ces tendances contradictoires, ces prédispositions contraires, ces inclinations opposées et de m’aider à réaliser mon désir de te briser fortement, de t’écraser entièrement et de t’anéantir complètement?! Il y a certes un qui le pourra: c’est toi, et personne d’autre que toi, ô or!

Disparais donc de cette Terre, anéantis-toi, et la sérénité remplace l’agitation et le bonheur, le malheur! Compris-tu alors?! Pourquoi donc ne te suicides-tu pas, sauvant les hommes des désastres de ton mal et des ruses de ton hypocrisie?  Non! Non! Tu te refuses à te suicider, étant si attaché à ta vie! D’ailleurs, ton instinct refuse fort d’agir contre ta nature, prédestinée à mépriser les hommes et à se moquer d’eux! Oui, tu fus créé pour te moquer des pauvres, danser sur les lambeaux des misérables puis décimer les désespérés! L’heure de ta disparition de ce bas-monde ne viendra pas toutefois avant que les désirs et les penchants des hommes ne s’unissent, te délaissant et te piétinant. C’est à ce moment-là, et juste à ce moment, ô or, que tu te suicideras malgré toi, et les hommes seront sauvés de ta duperie et de ta fourberie, et la tragédie prendra fin!  Oui! Mais quand cette tragédie prendra-t-elle fin? Il s’agit de rêves, voire de pures illusions!

Ô or! Ô or! À cause de toi, de nombreux yeux clos furent enterrés, et ils resteront ainsi à jamais! Hélas! Combien ta main effrayante fermera, sans compassion ni pitié, des yeux alanguis, d’un beau noir! Hélas! Ô toi qui gouvernes les hommes depuis l’existence de l’univers jusqu’à alors et jusqu’à la fin des temps! Dérobe ta face de moi, car je ne crois pas en toi! Plus encore, je continuerai à te mépriser et te dédaigner jusqu’à la fin de mes jours, jusqu’à ma mort!

 

Jérusalem, le 5 janvier 1935



[i] «Fluide» veut dire, dans l’enseignement dahéshiste, une force vitale, morale, émanée du Monde de l’Esprit, donc spirituelle. Cette force anime la vie dans la multitude des univers matériels aux billions de mondes, aux vies différentes régies par des lois appropriées et relatives. Ainsi l’or est une fluide spirituelle ou plutôt un être conscient et sujet, comme les individus et tous les êtres dans les univers, aux lois morales spirituelles ou divines. L’âme humaine, végétale ou animale est constituée d’un ensemble de Fluides, unifiés sous la personnalité qui en est la résultante. (à développer au fur et à mesure)  

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